Depuis quelques temps déjà le colonel du 14° régiment d’infanterie de Toulouse ne faisait plus parler de lui. Et comme il vait fourni, dans le passé, tant d’activité pour brimer ses hommes, beaucoup se demandaient s’il était mort ou bien parti.
Mais le colonel du 14° n’était ni parti, ni mort, ni même malade. Il méditait un grand coup, un coup de maitre. Il réfléchissait à la façon dont il recevrait les réservistes !
Or, les réservistes sont rentrés l’autre jour chez lui, à Saint-Agne, et aussitôt le fruit des silencieuses méditations du colonel est apparu au grand jour.
Et tout d’abord il s’est attaqué aux chevaux. Car, dans son plan de campagne, les chevaux des réservistes constituent l’ennemi qu’il faut abattre le premier.
Il a donc ordonné de les exterminer tous jusqu’au dernier, et d’en extirper jusqu’à la racine. C’est pourquoi la tondeuse est la seule arme qu’il veut voir entre les mains des coiffeurs.
Vainement, objectera-t-on, à M. le colonel du 14°, que rien dans les réglements n’oblige à voir les chevaux rasés, et que le service intérieur indique seulement qu’il les faut tenir courts. Encore cela ne vise-t-il que les hommes de l’active. Et tout le monde sait qu’on use d’une plus grande tolérence envers les réservistes sur ce point précis en particulier.
Mais le commandant du 14° ne serait plus le colonel Huc s’il observait les réglements et s’il tenait compte de la tradition. Il veut voir toutes les têtes passées à la tondeuse. Il le veut si bien qu’il a fait passer au rapport d’hier matin, que tout réserviste récalcitrant et qui se révolterait devant l’instrument, serait puni de huit jours de prison et privé de permission jusqu’à la fin de la période ! Ainsi, non seulement ce « père de famille » dépasse le règlement, mais encore il le viole manifestement en ajoutant des menaces officielles qu’il n’a pas le droit de réaliser.
Devant pareil acharnement, le capitaine d’une compagnie, que nous ne nommerons pas pour ne pas le rendre trop ridicule, n’a rien trouvé de mieux, pour être agréable à son chef, que de faire lui-même le figaro. Et on l’a vu hier au soir, à cinq heures, exécuter lui-même, une tondeuse à la main, les ordres abusifs de M. Huc !
Faut-il en rire ou en pleurer ?
Mais la stratégie du commandant du 14° ne s’arrête pas à ces escarmouches. Après cet assaut, livré aux chevaux de ses hommes, il rêve de s’en prendre à leurs dos et à leurs pieds.
C’est pourquoi, deux jours après leur arrivée à la caserne, les réservistes se voient forcés d’endosser l’as de carreau avec le chargement complet, et d’exécuter, avec ce compagnon gênant, des marches et des exercices pénibles que les hommes de l’active n’accomplissent qu’après un entrainement rationel.
C’est ainsi que, dans la journée d’hier, une compagnie a exécuté le matin, à titre d’exercice principal, une marche Saint-Agne/Montaudran, et le soir avec le soleil de plomb que l’on sait, une nouvelle marche Saint-Agne/côte Purpan, soit environ une heure un quart de marche sans faire la moindre halte horaire.
D’habitude, les hommes de l’active, suivant le même itinéraire, font une pause au Fer-à-Cheval. Le règlement d’ailleurs l’ordonne nettement. Mais les réservistes du 14°, deux jours après leur arrivée, semblent à M. Huc inacessibles à la fatigue.
Et ce n’est pas tout encore.
Après avoir rasé les têtes, meutri les pieds et les échines, on veut, en outre, faire crier les ventres et faire languir les femmes.
On sait que l’on accorde aux réservistes mariés la permission de manger et de coucher en ville. Pour obtenir cette permission, on exige un certificat de mariage. Il est délivré d’habitude, à Toulouse, par le dizenier du quartier.
Or, certains commandants de compagnie, sur présentation du dit certificat, se sont permis quelques doutes sur leur sincérité.
« Qui nous assure, on-t-ils déclaré, que les dizeniers ne se trompent pas ? ».
Ceci dépasse les bornes de la plaisanterie permise. Les certificats des dizeniers, en pareille matière, ont toujours été considérés comme documents quasi officiels. Jamais on n’éleva contre eux la moindre objection. Pourquoi donc en suspecte-t-on aujourd’hui ou du moins fait-on semblant de suspecter la sincérité ? Serait-ce par hasard parce que les dizeniers sont socialistes ?
Mais passons, cette défiance injurieuse serait méprisable, si elle n’atteignait pas certains réservistes mariés qui ont éprouvé, de ce fait, quelques difficultés pour aller retrouver le soir leur petite famille.
Et, à ce propos, signalons encore que, en principe, le quartier est libre chaque soir à 5 heures et demie. Fort bien.
Mais ceux qui demandent une permission de spectacle sont obligés d’attendre indéfiniment, à la porte du quartier, que ces permissions soient signées. On ne leur remet qu’à 6 heures un quart ou 6 heures et demie.
Pourquoi ?
Le capitaine n’a pas le temps de les signer plus tôt !
Et comme ces permissionnaires le plus souvent ne mangent pas à la caserne, on retarde d’autant l’heure de leur repas. Nous en avons assez dit pour aujourd’hui. Les faits que nous venons de rapporter, dont nous garantissons l’authenticité, démontrent, surabondamment que le 14° n’a pas changé de maitre et que, si l’on veut être bien traité et se sentir en famille, ce n’est pas au château Saint-Agne qu’il faut aller se loger.
(Midi-Socialiste – 29 août 1912)
Nos réservistes au 14°
Nous n’en avons pas fini avec les incartades du colonel du 14°. Nous avons relaté hier avec quel sans gêne il faisait raser la tête des réservistes, et a quel entrainement intensif il les livrait.
Mais cela n’est rien à côté de la mesure qu’il vient de prendre et qui a été signifiée avant-hier 28 courant, à tout le régiment.
Au rapport de ce jour, en effet, une note a paru déclarant que tout homme se faisant porter malade non reconnu par le major serait puni d’un minimum de hiut jours de prison !!!
Nous ne voulons pas insister sur l’odieux arbitraire de cette note. Tout commentaire en affaiblirait l’éloquence et la portée.
Mais tous ceux qui savent avec quelle désinvolture les majors regardent les malades, tous ceux qui savent avec quel esprit préconçu les majors estiment qu’un malade est un « tire au flanc » qu’il faut secouer ; tous ceux-là plaindront les réservistes du 14° et jugeront les conséquences pernicieuses que peut avoir sur la santé de ces pères de famille une aussi injustifiable menace.
(Midi-Socialiste – 30 août 1912)